samedi 2 mai 2020

Jim Harrison : il était une fois dans l'Ouest


Il était une fois dans l'Ouest : Jim Harrison, le grand écrivain américain, disparu en 2016, me remue toujours autant. Voir ici.


Né au Michigan, il partageait son temps entre l'Arizona et le Montana, deux états américains qui m'ont profondément marqués.

C'était un homme d'un autre temps, un homme sans âge, et pourtant extraordinairement présent.

Voir ici la belle note écrite par notre ami blogueur Jcmemo à propos de son ouvrage Dalva.

Cette note me donne l'occasion de relire des interviews de Jim Harrison publiés en 2016 dans le bel ouvrage intitulé "Amérique des Ecrivains en Liberté" par Jean-Luc Bertini et Alexandre Thiltges (Albin Michel)


Voir ici ma note écrite au moment de la disparition de "Big Jim".

Quelques unes de ses citations, mieux que des commentaires!

"Il faut donner une voix aux gens qui n'en ont pas.
Je crois que telle est la responsabilité de l'écrivain."

"Les oiseaux, un bon repas, une bonne bouteille, et aussi les rivières.

Quand je broie du noir, je remonte ce cours d'eau qui se trouve derrière la maison.
Je parcours ainsi parfois des kilomètres et des kilomètres, et ça me redonne mystérieusement le goût de vivre."


"Mon humeur peut changer très rapidement.
C'est pour ça que je passe tellement de temps dans la nature, ou sur l'eau, car c'est la seule chose qui me permette de recoller les morceaux."

"Il n'y a pas de vérité, que des histoires."

"Oublier le moi, c'est devenir dix-mille autres choses."

"Les écrivains se construisent un masque pour se protéger de leur vulnérabilité, mais s'ils ne sont pas vulnérables, ils ne peuvent pas écrire.

Qu'est-ce qu'un homme sans vulnérabilité pourrait bien écrire? Sur lui-même ?
C'est comme ça qu'Hemingway s'est fait piéger : il a créé une superbe mine, mais il en avait déjà extrait tout l'or!"

"Si l'on passe suffisamment de temps dans la nature, au bout d'un moment, il n'y a plus de dedans ni de dehors.

En d'autres termes, on ne regarde plus la nature de l'extérieur, mais de l'intérieur."

"Le voyage sans destination particulière est mon mécanisme de survie."



Voir ici la liste des livres de Jim Harrison.


mercredi 15 avril 2020

Littérature américaine : "Purity" de Jonathan Franzen !


Jonathan Franzen,  né le 17 Août 1959 dans l'Illinois est un écrivain, romancier et essayiste américain.


Né d'une mère américaine et d'un père d'origine suédoise, il passe son enfance dans le Missouri et fait ses études supérieures à Berlin. Il vit actuellement à New York.

En 2009, il réside à Tübingen et y donne des cours à l'Université.

Il a publié plusieurs romans : The Twenty-Seventh City (1988), Strong Motion (1992), The Corrections (2001), Freedom (2010), Purity (2015) ainsi que des essais.

En 2010, Jonathan Franzen fait la une de TIME Magazine à l'occasion de la sortie de Freedom , puis celle de Libération en 2011.


Il a accordé un grand entretien à François Busnel dans la passionnante revue America (#05/16).

Franzen est souvent controversé : arrogant et sexiste pour les uns, génial et visionnaire pour les autres. En tout cas, il ne mâche pas ses mots!

Quoiqu'il en soit, Jonathan Franzen est l'un des écrivains les plus influents des lettres américaines actuelles.

Avec "Purity", il signe un (gros : 826p!) roman critique, acerbe et drôle sur la civilisation numérique, la perte de sens, mais aussi l'absolutisme moral de la jeunesse et les désillusions inévitables.


Il y a dans ce roman une intrigue, un peu difficile à percevoir au tout début, un côté thriller qui en fait un "page turner" très prenant : l'intrigue, très fouillée, est riche en rebondissements.

J'ai saisi l'occasion du confinement pour me lancer dans "Purity" et je ne l'ai pas regretté.

Voir le résumé ici et .

"Purity" est un roman ultra contemporain sur la tyrannie de la "transparence" à l'heure des "Wikileaks" et des réseaux sociaux.

Une fois le livre refermé, les personnages et les situations me hantent encore, que l'action se déroule à Berlin-Est (avant, pendant et après la chute du Mur), à Denver, Oakland ou en Bolivie.


Y sont détaillés par Franzen, avec force, la dictature des réseaux sociaux, le rôle des lanceurs d'alerte, le déclin du journalisme.

L'auteur nous entraine dans une intrigue haletante, en habile chroniqueur de notre monde contemporain.

"Si j'expérimente une forme d'angoisse quant à l'identité individuelle dans un monde dominé par le numérique ou quant à la situation critique dans laquelle se trouve le journalisme professionnel aujourd'hui, je peux deviner que d'autres partagent cette angoisse. 
Et qu'ils en aimeront sans doute mon exploration. "Propos recueillis par L'Express, le 23/05/16


Le héros Andreas, qui a grandi en Allemagne de l'Est va jusqu'à comparer le règne omniprésent d'Internet avec la surveillance de la Stasi...

"Comme écrivain et comme citoyen concerné, comme quelqu'un qui croit que la réalité est compliquée, je suis affligé de voir à quel point les technologies numériques nourrissent des paroles publiques extrêmes, simplistes, irresponsables et souvent malhonnêtes.

C'est mauvais pour la démocratie, et, personnellement, ça me fait enrager chaque jour qui passe." Jonathan Franzen


Pour l'auteur, l'idéalisme de la jeunesse et son absolutisme moral apparaissent aussi comme un bon sujet de rigolade ; en effet, que deviennent tous ces idéaux avec leur part d'aveuglement, lorsqu'on prend de l'âge et que l'on s'affronte à la réalité ?...

Dans "Purity", Franzen confronte ses - et nos - démons!

Ecoutez ici (en anglais) Franzen parler de "Purity", entre autres.

Daniel Craig pourrait jouer dans une série TV tirée de "Purity" ; à suivre donc!

samedi 11 avril 2020

Blaise Pascal : Du malheur de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre



Il est bien difficile de rester cloîtré sans rien faire, en ces temps de confinement forcé, si, du moins, nous ou nos proches ne sommes pas atteints par le Covid-19.

"Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer dans une chambre." Blaise Pascal (Pensées)

Blaise Pascal
1623-1663 (à 39 ans)

Nous sommes déjà tentés à tout prix de nous divertir, en temps ordinaire.



Mais, dans la situation présente, nous précipiter sur n'importe quelle distraction n'a pas forcément un effet positif ni salutaire, ...

"Se divertir", étymologiquement : "divertere", "se détourner".

La télévision et les réseaux sociaux nous offrent en ce moment une infinité de possibilités de "divertissements" plus ou moins futiles, qui ont pour conséquence, à la longue, une sorte de "ramollissement de nos malheureux neurones", déjà mis à mal...

Les Français passent en moyenne
5h/jour devant la télé
depuis le confinement
De plus, les "tutoriels" de toutes sortes sur internet fleurissent et nous sollicitent : cuisine, exercices en chambre, yoga, méditation, apprentissages divers visant au "confinement utile"...


Se "divertir" de façon plus "sérieuse" est possible, et là encore, dans la période que nous vivons, les offres de visites virtuelles de musées, de retransmissions de pièces de théâtre et d'opéras sont légion et nous ne savons plus vers quoi nous tourner.

Pour Blaise Pascal, le "divertissement" désigne ces occupations, futiles ou plus sérieuses, qui nous permettent d'ignorer ce qui nous afflige, au fond et de fuir notre condition.


En temps ordinaire, nous sommes entraînés, par nos activités, nos passions ou nos difficultés de vie au quotidien, à détourner notre regard de nos problèmes existentiels.

"Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser."

"L'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là."

Mais en s'agitant ainsi, on rencontre de nouveaux tourments, car le bonheur ne peut venir du seul "divertissement", qui nous éloigne du temps présent.

"La seule chose qui nous console de nos misères c'est le divertissement, et pourtant c'est la plus grande de nos misères.
Car c'est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement."


Divertissement. Pensées. Voir ici.
"Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc… j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir plus demeurer en repos dans une chambre (…).
 Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une, bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de plus prés.
 Quelque condition qu’on se figure, où l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde ; et cependant, qu’on s’en imagine accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher, s’il est sans divertissement, et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables ; de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voila malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et qui se divertit."

Bon confinement !...


mercredi 8 avril 2020

(Re)lisez Octavio Paz en ces temps de confinement : La quête du présent



Octavio Paz est né à Mexico en 1914 et est mort à Mexico en 1998.


Lors de ses études à l'Université de Mexico, il entame une carrière littéraire, publie des poèmes et fonde des revues.

En 1936 il réside en Espagne pendant la guerre civile où il apporte son soutien aux combattants républicains.

En 1943, il part pour 2 ans aux USA où il lit Ezra Pound, W. B.Yeats, T. S. Eliot,...

En 1945 il entame une carrière de diplomate.

Il vit en France à partir de 1946 où il fréquente les surréalistes : André Breton, Benjamin Perret,...

Entre 1955 et 1962 il est membre du Comité de la revue littéraire colombienne Mito.

Il est nommé ambassadeur du Mexique en Inde en 1962, mais il abandonne ce poste en 1968 lors de la répression sanglante par son gouvernement des étudiants de Tlatelolco.


Dans les années 1970, il s'engage contre la violence et l'oppression quelles qu'elles soient, prenant la défense de Soljenitsyne.

L'oeuvre littéraire et poétique d'Octavio Paz est considérable : voir ici et .

Le prix Nobel de Littérature lui est décerné en 1990. Voir ici.

"C'est comme si Nerval ou Hölderlin écrivaient des livres dignes de Tocqueville et de Marx" disait de lui Claude Roy.

Son discours de réception du Prix Nobel de Littérature est absolument remarquable et il s'intitule "La quête du présent".


Il est tout à fait d'actualité en nos temps de confinement!

"...Dire que nous avons étés expulsés du présent peut sembler un paradoxe.
Il n'en est rien : c'est une expérience que nous avons tous faite un jour ou l'autre.

Certains d'entre nous ont d'abord vécu cette expulsion comme une condamnation, convertie ensuite en conscience, en action.

La quête du présent n'est pas la recherche d'un paradis sur terre ni de l'éternité sans dates : c'est la quête de la véritable réalité...

... je viens seulement de comprendre qu'il y avait une relation secrète entre ce que j'ai appelé mon expulsion du présent et le fait de composer des poèmes.


La poésie est amoureuse de l'instant et elle veut le revivre dans un poème ; elle l'isole de la succession temporelle et le transforme en pur présent...

Je crois depuis longtemps - et je le crois fermement - que le crépuscule du futur annonce l'avènement de l'aujourd'hui.

Et le maintenant ne peut d'avantage se confondre avec un hédonisme facile.


Si l'arbre du plaisir ne croit ni dans le passé, ni dans le futur, mais dans l'instant même, la mort elle aussi est un fruit du présent.


Nous ne pouvons l'ignorer : elle fait partie de la vie.

Vivre bien exige de bien mourir.

Tour à tour sombre et lumineux, le présent est une sphère où s'unissent les deux pôles, l'action et la contemplation.

Que savons nous du présent? 
Rien ou presque. 

Mais les poètes savent une chose : le présent est la source vive des présences..."




mardi 31 mars 2020

Bertolt Brecht : Le poème aux jeunes



Bertolt Brecht
1898-1956
Un des derniers textes écrits par Brecht (ici) : "Le Poème aux jeunes"

Je vécus dans les villes au temps des désordres et de la famine
Je vécus parmi les hommes au temps de la révolte
Et je m’insurgeais avec eux 


Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre

Je mangeais en pleine bataille
Je me couchais parmi des assassins
Négligemment je faisais l’amour et je dédaignais la nature


Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre


De mon temps les rues conduisaient aux marécages
La parole me livra aux bourreaux
J’étais bien faible mais je gênais les puissants
Ou du moins je le crus


Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre


Les forces étaient comptées
Le but se trouvait bien loin il était visible pourtant
Mais je ne pouvais pas en approcher


Ainsi passa le temps qui me fut donné sur la Terre


Vous qui surgirez du torrent où nous nous sommes noyés
Songez quand vous parlez de nos faiblesses
A la sombre époque dont vous êtes sortis
Nous traversions les luttes de classes
Changeant de pays plus souvent que de souliers
Désespérés que la révolte ne mît pas fin à l’injustice


Nous le savons bien
La haine de la misère creuse les rides
La colère de l’injustice rend la voix rauque
Ô nous qui voulions préparer le terrain de l’amitié
Nous ne sûmes pas devenir des amis


Mais vous quand l’heure viendra où l’homme aide l’homme
Pensez à nous avec indulgence



Ecoutez ce texte ici.



vendredi 27 mars 2020

"America" : une revue passionnante!


"America" est une revue lancée par François Busnel, présentateur de l'émission "La Grande Librairie" sur France 5 et Eric Fottorino, directeur de l'hebdomadaire "Le 1".

Cette revue raconte l'Amérique à hauteur d'homme et sans préjugés : sa beauté, mais aussi ses failles et ses fêlures.

François Busnel, le passeur de livres

Chaque trimestre, les plus grands écrivains français et américains y sont invités à devenir les mémorialistes d'une époque hors-normes.

Avant d'être sensibilisé à cette revue, en tant que voyageur et lecteur passionné des USA et de la littérature américaine, j'avais "flashé" pour la série de 8 DVD produite par France 5 et intitulée "Les Carnets de Route de François Busnel" : un voyage unique à travers les Etats-Unis à la rencontre des plus grands écrivains américains.

Les enregistrements de ces DVD ont été diffusés au cours d'émissions de France 5 de 2011 à 2012 : magnifique.


Y sont interviewés, entre autres Paul Auster, Jonathan Franzen, Toni Morrison, Philip Roth, Joyce Carol Oates, Dan O'Brien, Jim Harrison,...

Avec Jim Harrison décédé il y a 4 an en Arizona
le 26 mars 2016
Je voudrais tout particulièrement signaler ici le N°9 de cette revue consacré aux écrivains amérindiens, mais pas que.


Dans ce numéro, un grand entretien avec Bret Easton Ellis, à l'occasion de la parution de son nouveau livre White, où il dénonce la bien-pensance, l'obsession de l'identité, le règne du politiquement correct,  et le retour de l'idéologie dans l'art.

On y trouve aussi un récit inédit du géant des lettres, Philip Roth, décédé le 22 mai 2018.

Et également, entre autres, un texte de Jim Harrison, qui n'a jamais caché sa fascination pour le monde indien :"Seule la Terre est éternelle".

Jim Harrison

Mais surtout, America consacre un grand dossier aux Amérindiens, victimes de l'histoire américaine, mais à la culture formidablement résiliante.

Et si nous appelions les Amérindiens par le nom des Nations qui les ont vu naître : Lakotas, Navajos, Hopis, Ojibwés, Shoshones, Cheyennes, Crees, Arapahos, Cherokees,...?

Des réserves du Wyoming aux quartiers de San Francisco, la revue explore ce monde fantasmé, avec pour guides des auteurs qui n'ont de cesse d'explorer ce que signifie être "Native American", avec, entre autres, Louise Erdrich, auteure amérindienne ojibwé de Minneapolis (ici) et propriétaire de la librairie Birchbark Books (ici).

Louise Erdrich


On y découvre de magnifiques photographies de E. S.Curtis:

Edward S. Curtis, la mémoire photographique
des Indiens
1868-1952


Aujourd'hui, la mémoire de ces peuples, déjà victime de stéréotypes les plus grossiers et abîmée par l'indifférence, menace d'être définitivement ensevelie sous le cynisme.

Car contrairement à ce que véhicule la propagande menée par Donald Trump, les Indiens n'ont pas choisi de vivre dans les réserves ...


vendredi 20 mars 2020

"Le Terrier" de Franz Kafka : le livre du confinement


En ces temps de confinement, il est intéressant de découvrir ou de relire la nouvelle (inachevée) de Franz Kafka intitulée "Le Terrier".

Cette nouvelle a été publiée en français par les Editions Gallimard/NRF en 1948 sous le titre "La Colonie Pénitentiaire et Autres récits". La traduction est d'Alexandre Vialatte.


Les nouvelles y figurant sont : "La Colonie Pénitentiaire", "Un Champion de Jeûne", "Le Terrier" et "La Taupe Géante".

Le Terrier est l'une des dernières oeuvres de Kafka : en 1923, il vit à Berlin et souffre de la tuberculose.

C'est lors d'une période de répit, en décembre, qu'il écrit ce texte.
Il vit alors en compagnie de Dora Diamant.

Mais la toux et la fièvre reprennent et l'empêchent de terminer ce récit.

Il mourra quelques mois plus tard, le 3 juin 1924.

Franz Kafka
1883-1924
Le narrateur (mi-animal, mi-humain) creuse, méticuleusement, pour se protéger, une forteresse souterraine, labyrinthique ...

Il espère que ce terrier lui permettra de vivre en toute quiétude, séparé du monde extérieur.

Le constructeur-narrateur se réjouit de sa vie solitaire, qu'il passe à effectuer de petites réparations, à rêver d'amélioration de son terrier, et à accumuler des provisions.

Pourtant, il vit dans la terreur permanente d'être attaqué par un ennemi qui envahirait son abri...

"J’ai organisé le terrier et il semble que ce soit une réussite. De l’extérieur on ne voit à vrai dire qu’un grand trou, mais en réalité celui-ci ne conduit nulle part, après seulement quelques pas on se cogne contre une paroi de roche naturelle, je ne veux pas me vanter d’avoir conçu intentionnellement cette ruse, c’était plutôt le vestige d’une de ces nombreuses et vaines tentatives de construction, mais finalement il me parut avantageux de ne pas boucher ce trou. 

C’est vrai qu’il y a des ruses qui sont si subtiles qu’elles se tuent elles-mêmes, je le sais mieux que personne et il est certainement bien téméraire d’attirer l’attention sur ce trou et ainsi de signaler la possibilité qu’il y ait ici quelque chose qui vaille la peine qu’on fasse des recherches. 

Mais il me connaît mal, celui qui croit que je suis lâche et que je ne creuse mon terrier que par lâcheté. C’est à quelque mille pas de ce trou que se trouve la véritable entrée du terrier, cachée sous une couche de mousse que l’on peut soulever, elle est aussi sécurisée que peut l’être quelque chose en ce monde, certes, quelqu’un peut marcher sur la mousse ou bien la percer, alors mon terrier est ouvert et qui a envie – à condition, bien entendu, de posséder certaines facultés qui ne sont guère répandues – peut y pénétrer et tout détruire à jamais." ...


Le narrateur entretient une relation ambivalente avec son terrier, qui semble être à la fois un abri et un piège.

Son ami Max Brod, qui a publié ce texte de façon posthume en 1931, rédige une postface :

Max Brod en 1924

"... La solitude a pour dernière conséquence un système de protections que Kafka expose ici avec la puissance inquiétante de l'expérience personnelle et un réalisme total au sein du fantastique ; c'est-à-dire qu'il y emploie son style le plus strictement singulier.

La peur de vivre d'un sans-défense, la nostalgie d'un repos parfait...

Mais l'auteur soulève légèrement le voile du symbole et indique que "Le Terrier" signifie plus pour lui que la sécurité, qu'il symbolise aussi la Patrie, une assiette morale, une base d'existence conquise au prix d'un honnête labeur,...tout ce que "l'arpenteur" du Château cherchait précisément en vain."

Franz Kafka

Mais on peut aussi établir un rapport entre le Terrier, considéré comme le corps même de Kafka, et la maladie pulmonaire mortelle dont il souffre : il parlait d'ailleurs de sa toux comme d'une "bête".

Vers la fin du texte, il est question d'un "chuintement" qui menace le narrateur (la respiration d'un malade atteint de tuberculose).

Le Terrier, c'est la maison du corps, infiltrée de l'extérieur.

Les ramifications du Terrier pourraient être interprétées comme les parties pulmonaires, et l'entrée - crainte par le narrateur -comme la bouche, par laquelle les agents pathogènes pénètrent.

Ecouter ici un extrait du Terrier, lu par Denis Lavant.