vendredi 28 septembre 2018

Guillaume d'Aquitaine : Ferai des vers de pur néant


Guillaume IX, Duc d'Aquitaine, ou Guillaume VII Comte de Poitou, ou Comte de Poitiers, est né le 22 octobre 1071 et mort le 11 février 1127 : voir ici.

Blason du Comte de Poitiers

Il succède à son père Guillaume VIII à l'âge de 15 ans (On l'appelait Guillaume le Jeune, au début de son règne).

Guillaume IX d'Aquitaine

Il sera le père de Guillaume X, et le grand-père d'Alienor d'Aquitaine (Voir ici), qui fut Reine de France et Reine d'Angleterre.

Alienor d'Aquitaine

Guillaume IX marque surtout l'histoire comme homme de lettres, qui sut entretenir l'une des cours les plus raffinées d'Occident.

Il écrit lui-même des poèmes en langue d'Oc, poèmes qui sont mis en musique: il fut appelé le premier des troubadours.

Guillaume IX d'Aquitaine

C'est le plus ancien poète médiéval écrivant en langue vulgaire: ses poèmes, parfois très crus,  n'ont aucun caractère sacré et ne chantent pas la gloire des héros guerriers.

Ses vers traitent des femmes, d'amour, et de ses propres prouesses sexuelles.

Il chante tout autant la beauté des nonnes d'un couvent que l'amour entre hommes. On l'accusera d'être vulgaire et débauché.

Sa maitresse, une femme mariée (Dangereuse de l'Isle Bouchard) devient sa muse dans ses poèmes.
A la bataille de Coutanda, il aurait d'ailleurs combattu avec le corps de sa maîtresse peint sur son bouclier.

Guillaume IX est un prince troubadour, qui pratique une poésie joyeuse et égrillarde, adepte de l'érotique courtois.
C'est le précurseur de l'amour courtois (fin amor en occitan).
A sa suite, l'art des troubadours va devenir plus galant.

Guillaume IX d'Aquitaine

Mais ce grand seigneur troubadour  a écrit également un poème fascinant et tout à fait étonnant, "Poème sur le Rien", composé "en dormant sur un cheval", sorte de rêve éveillé, de parodie de la poésie courtoise, voire la transcription d'une expérience mystique: "Farai un vers de dreyt nien".

Je vous le livre dans sa traduction française, suivie de l'original en langue d'Oc :

Ferai des vers de pur néant :
Ne sera de moi ni d'autres gens,
Ne sera d'amour ni de jeunesse,
Ni de rien d'autre.
Les ai trouvés en somnolant -
Sur un cheval !

Ne sais sous quelle étoile suis né.
Ne suis allègre ni irrité,
Ne suis d'ici ni d'ailleurs,
Et n'y peux rien :
Car fus de nuit ensorcelé
A la cime d'une colline.

Ne sais quand fus endormi,
Ni quand je veille si on ne me le dit.
J'ai bien failli avoir le coeur brisé
Par la douleur :
Mais m'en soucie comme d'une souris
Par saint Martial !

Malade suis et me sens mourir,
Mais n'en sais pas plus qu'en entends dire.
Médecin querrai à mon gré,
Mais ne sais quel :
Bon il sera s'il peut me guérir
Mais non si mon mal empire.

L'amie que j'eus : ne sais qui c'est.
Jamais ne la vis par ma foi,
Rien ne m'a fait qui me plaise ou pèse,
Et ça ne m'importe pas plus
Qu'il vint jamais Normand ou Français
Dans ma demeure.

Jamais ne la vis et l'aime fort.
Jamais ne me fit justice ni tort.
Quand ne la vois, en fais ma joie
Et ne l'estime pas plus qu'un coq :
Car en sais une plus aimable et belle
Et plus précieuse.

J'ai fait ces vers ne sais sur quoi.
Et les transmettrai à celui-ci
Qui les transmettra à un autre
Là-bas vers l'Anjou :
Que celui-là m'en renvoie, de son fourreau -
En contrepoint : la clé !

Et voici l'original en langue d'Oc :

Farai un vers de dreyt nien
Non er de mi ni d'autra gen
Non er d'amor ni de joven
Ni de ren au
Qu'enans fo trobatz en durmen
Sus un chivau

No sai en qual hora.m fui natz
No soi alegres ni iratz
No soi estranhs ni soi privatz
Ni non puesc au
Qu'enaisi fui de nueitz fadatz
Sobr'un pueg au

No sai cora.m fui endormitz
Ni coram veill s'om no m'o ditz
Per pauc no m'es lo cor partitz
D'un dol corau
E no m'o pretz una fromitz
Per saint Marsau

Malautz soi e cre mi morir
E re no sai mas quan n'aug dir
Metge querrai al mieu albir
E nom sai tau
Bos metges er sim pot guerir
Mas non si amau

Amigu'ai ieu non sai qui s'es
C'anc no la vi si m'aiut fes
Nim fes quem plassa ni quem pes
Ni no m'en cau
C'anc non ac Norman ni Franses
Dins mon ostau

Anc non la vi et am la fort
Anc no n’aic dreit ni no.m fes tort
Quan no la vei be m'en deport
Nom prez un jau
Qu'ien sai gensor e belazor
E que mais vau

No sai lo luec on s’esta
Si es m pueg ho es en pla
Non aus dire lo tort que m’a
Albans m’en cau
E pezam be quar sai rema
Per aitan vau

Fait ai lo vers no sai de cui
Et trametrai lo a celui
Que lom trameta per autrui
Enves Peitau
Quem tramezes del sieu estui
La contraclau


Ecoutez ce poème mis en musique par le Groupe Tre Fontane : ici.

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Après une vie de poésie et de débauche dans sa Cour, le Prince-Troubadour consacrera la fin de ses jours à la Religion, avant de mourir à l'âge de 55 ans.