mercredi 15 avril 2020

Littérature américaine : "Purity" de Jonathan Franzen !


Jonathan Franzen,  né le 17 Août 1959 dans l'Illinois est un écrivain, romancier et essayiste américain.


Né d'une mère américaine et d'un père d'origine suédoise, il passe son enfance dans le Missouri et fait ses études supérieures à Berlin. Il vit actuellement à New York.

En 2009, il réside à Tübingen et y donne des cours à l'Université.

Il a publié plusieurs romans : The Twenty-Seventh City (1988), Strong Motion (1992), The Corrections (2001), Freedom (2010), Purity (2015) ainsi que des essais.

En 2010, Jonathan Franzen fait la une de TIME Magazine à l'occasion de la sortie de Freedom , puis celle de Libération en 2011.


Il a accordé un grand entretien à François Busnel dans la passionnante revue America (#05/16).

Franzen est souvent controversé : arrogant et sexiste pour les uns, génial et visionnaire pour les autres. En tout cas, il ne mâche pas ses mots!

Quoiqu'il en soit, Jonathan Franzen est l'un des écrivains les plus influents des lettres américaines actuelles.

Avec "Purity", il signe un (gros : 826p!) roman critique, acerbe et drôle sur la civilisation numérique, la perte de sens, mais aussi l'absolutisme moral de la jeunesse et les désillusions inévitables.


Il y a dans ce roman une intrigue, un peu difficile à percevoir au tout début, un côté thriller qui en fait un "page turner" très prenant : l'intrigue, très fouillée, est riche en rebondissements.

J'ai saisi l'occasion du confinement pour me lancer dans "Purity" et je ne l'ai pas regretté.

Voir le résumé ici et .

"Purity" est un roman ultra contemporain sur la tyrannie de la "transparence" à l'heure des "Wikileaks" et des réseaux sociaux.

Une fois le livre refermé, les personnages et les situations me hantent encore, que l'action se déroule à Berlin-Est (avant, pendant et après la chute du Mur), à Denver, Oakland ou en Bolivie.


Y sont détaillés par Franzen, avec force, la dictature des réseaux sociaux, le rôle des lanceurs d'alerte, le déclin du journalisme.

L'auteur nous entraine dans une intrigue haletante, en habile chroniqueur de notre monde contemporain.

"Si j'expérimente une forme d'angoisse quant à l'identité individuelle dans un monde dominé par le numérique ou quant à la situation critique dans laquelle se trouve le journalisme professionnel aujourd'hui, je peux deviner que d'autres partagent cette angoisse. 
Et qu'ils en aimeront sans doute mon exploration. "Propos recueillis par L'Express, le 23/05/16


Le héros Andreas, qui a grandi en Allemagne de l'Est va jusqu'à comparer le règne omniprésent d'Internet avec la surveillance de la Stasi...

"Comme écrivain et comme citoyen concerné, comme quelqu'un qui croit que la réalité est compliquée, je suis affligé de voir à quel point les technologies numériques nourrissent des paroles publiques extrêmes, simplistes, irresponsables et souvent malhonnêtes.

C'est mauvais pour la démocratie, et, personnellement, ça me fait enrager chaque jour qui passe." Jonathan Franzen


Pour l'auteur, l'idéalisme de la jeunesse et son absolutisme moral apparaissent aussi comme un bon sujet de rigolade ; en effet, que deviennent tous ces idéaux avec leur part d'aveuglement, lorsqu'on prend de l'âge et que l'on s'affronte à la réalité ?...

Dans "Purity", Franzen confronte ses - et nos - démons!

Ecoutez ici (en anglais) Franzen parler de "Purity", entre autres.

Daniel Craig pourrait jouer dans une série TV tirée de "Purity" ; à suivre donc!

samedi 11 avril 2020

Blaise Pascal : Du malheur de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre



Il est bien difficile de rester cloîtré sans rien faire, en ces temps de confinement forcé, si, du moins, nous ou nos proches ne sommes pas atteints par le Covid-19.

"Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer dans une chambre." Blaise Pascal (Pensées)

Blaise Pascal
1623-1663 (à 39 ans)

Nous sommes déjà tentés à tout prix de nous divertir, en temps ordinaire.



Mais, dans la situation présente, nous précipiter sur n'importe quelle distraction n'a pas forcément un effet positif ni salutaire, ...

"Se divertir", étymologiquement : "divertere", "se détourner".

La télévision et les réseaux sociaux nous offrent en ce moment une infinité de possibilités de "divertissements" plus ou moins futiles, qui ont pour conséquence, à la longue, une sorte de "ramollissement de nos malheureux neurones", déjà mis à mal...

Les Français passent en moyenne
5h/jour devant la télé
depuis le confinement
De plus, les "tutoriels" de toutes sortes sur internet fleurissent et nous sollicitent : cuisine, exercices en chambre, yoga, méditation, apprentissages divers visant au "confinement utile"...


Se "divertir" de façon plus "sérieuse" est possible, et là encore, dans la période que nous vivons, les offres de visites virtuelles de musées, de retransmissions de pièces de théâtre et d'opéras sont légion et nous ne savons plus vers quoi nous tourner.

Pour Blaise Pascal, le "divertissement" désigne ces occupations, futiles ou plus sérieuses, qui nous permettent d'ignorer ce qui nous afflige, au fond et de fuir notre condition.


En temps ordinaire, nous sommes entraînés, par nos activités, nos passions ou nos difficultés de vie au quotidien, à détourner notre regard de nos problèmes existentiels.

"Les hommes n'ayant pu guérir la mort, la misère, l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de n'y point penser."

"L'homme, quelque plein de tristesse qu'il soit, si on peut gagner sur lui de le faire entrer en quelque divertissement, le voilà heureux pendant ce temps-là."

Mais en s'agitant ainsi, on rencontre de nouveaux tourments, car le bonheur ne peut venir du seul "divertissement", qui nous éloigne du temps présent.

"La seule chose qui nous console de nos misères c'est le divertissement, et pourtant c'est la plus grande de nos misères.
Car c'est cela qui nous empêche principalement de songer à nous, et qui nous fait perdre insensiblement."


Divertissement. Pensées. Voir ici.
"Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s’exposent, dans la cour, dans la guerre, d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc… j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir plus demeurer en repos dans une chambre (…).
 Mais quand j’ai pensé de plus près, et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une, bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de plus prés.
 Quelque condition qu’on se figure, où l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde ; et cependant, qu’on s’en imagine accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher, s’il est sans divertissement, et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point, il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables ; de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voila malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets, qui joue et qui se divertit."

Bon confinement !...


mercredi 8 avril 2020

(Re)lisez Octavio Paz en ces temps de confinement : La quête du présent



Octavio Paz est né à Mexico en 1914 et est mort à Mexico en 1998.


Lors de ses études à l'Université de Mexico, il entame une carrière littéraire, publie des poèmes et fonde des revues.

En 1936 il réside en Espagne pendant la guerre civile où il apporte son soutien aux combattants républicains.

En 1943, il part pour 2 ans aux USA où il lit Ezra Pound, W. B.Yeats, T. S. Eliot,...

En 1945 il entame une carrière de diplomate.

Il vit en France à partir de 1946 où il fréquente les surréalistes : André Breton, Benjamin Perret,...

Entre 1955 et 1962 il est membre du Comité de la revue littéraire colombienne Mito.

Il est nommé ambassadeur du Mexique en Inde en 1962, mais il abandonne ce poste en 1968 lors de la répression sanglante par son gouvernement des étudiants de Tlatelolco.


Dans les années 1970, il s'engage contre la violence et l'oppression quelles qu'elles soient, prenant la défense de Soljenitsyne.

L'oeuvre littéraire et poétique d'Octavio Paz est considérable : voir ici et .

Le prix Nobel de Littérature lui est décerné en 1990. Voir ici.

"C'est comme si Nerval ou Hölderlin écrivaient des livres dignes de Tocqueville et de Marx" disait de lui Claude Roy.

Son discours de réception du Prix Nobel de Littérature est absolument remarquable et il s'intitule "La quête du présent".


Il est tout à fait d'actualité en nos temps de confinement!

"...Dire que nous avons étés expulsés du présent peut sembler un paradoxe.
Il n'en est rien : c'est une expérience que nous avons tous faite un jour ou l'autre.

Certains d'entre nous ont d'abord vécu cette expulsion comme une condamnation, convertie ensuite en conscience, en action.

La quête du présent n'est pas la recherche d'un paradis sur terre ni de l'éternité sans dates : c'est la quête de la véritable réalité...

... je viens seulement de comprendre qu'il y avait une relation secrète entre ce que j'ai appelé mon expulsion du présent et le fait de composer des poèmes.


La poésie est amoureuse de l'instant et elle veut le revivre dans un poème ; elle l'isole de la succession temporelle et le transforme en pur présent...

Je crois depuis longtemps - et je le crois fermement - que le crépuscule du futur annonce l'avènement de l'aujourd'hui.

Et le maintenant ne peut d'avantage se confondre avec un hédonisme facile.


Si l'arbre du plaisir ne croit ni dans le passé, ni dans le futur, mais dans l'instant même, la mort elle aussi est un fruit du présent.


Nous ne pouvons l'ignorer : elle fait partie de la vie.

Vivre bien exige de bien mourir.

Tour à tour sombre et lumineux, le présent est une sphère où s'unissent les deux pôles, l'action et la contemplation.

Que savons nous du présent? 
Rien ou presque. 

Mais les poètes savent une chose : le présent est la source vive des présences..."