mardi 12 octobre 2021

Walter Benjamin : "Sur le Concept d'Histoire", à propos de l'aquarelle "Angelus Novus" de Paul Klee

 

Je retranscris sur ce blog consacré aux livres, la note publiée ce jour sur mon autre blog, "Le Promeneur du 68".

Cette note fait référence à une aquarelle de Paul Klee, "Angelus Novus" et à un texte publié par le philosophe Walter Benjamin à propos de cette aquarelle, dans "Sur le Concept d'Histoire", que l'on peut découvrir dans "Oeuvres III" paru chez Folio Essais en 2000.

Voici donc.

-----------------------------------------------------------------------------

"Angelus Novus" est une aquarelle peinte par Paul Klee en 1920.


Angelus Novus


Paul Klee est un peintre d'origine allemande, mais d'identité culturelle suisse, que j'apprécie particulièrement : ici.

Paul Klee
1879-1940

Ce tableau est exposé pour la première fois en mai-juin 1920 à la Galerie Hans Goltz, à Munich.

Cette aquarelle, acquise en juin 1921,  a appartenu au philosophe allemand Walter Benjamin (ici), qui la met d'abord en dépôt chez son ami, le philosophe Gerschom Scholem: ici.

Walter Benjamin
1892-1940


Gershom Scholem
1897-1982


Walter Benjamin la conservera jusqu'à sa mort le 26 Septembre 1940 à Port-Bou.

Cette aquarelle fait actuellement partie de la collection du Musée d'Israël à Jérusalem.

Walter Benjamin a contribué grandement à sa notoriété.

Dans les Oeuvres de Walter Benjamin, on trouve, dans "Oeuvres III" (Folio Essais), un texte passionnant intitulé" "Sur le concept d'histoire" (Über den Begriff der Geschichte).


C'est son dernier texte rédigé en 1940 avant qu'il ne mette fin à ses jours.

Ce texte court est composé de 20 paragraphes comprenant des Thèses, des appendices et des variantes.

La IX° Thèse évoque, justement, cette aquarelle de Paul Klee.

Il est précédé d'une citation de Gerschom Scholem "Gruss vom Angelus" (Salutations de l'Ange):

"Mon aile est prête à prendre son essor/ Je voudrais bien revenir en arrière/ Car en restant même autant que le temps vivant/ Je n'aurais guère de bonheur."

Walter Benjamin ne se séparait jamais de cette aquarelle de Klee,  qui était devenue son icône.


Il en parle comme suit, dans la IX° Thèse :

« Il existe un tableau de Klee qui s'intitule Angelus novus

Il représente un ange qui semble avoir dessein de s'éloigner de ce à quoi son regard semble rivé. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. 

Tel est l'aspect que doit avoir nécessairement l'ange de l'histoire. Il a le visage tourné vers le passé. 

Où paraît devant nous une suite d'événements, il ne voit qu'une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d'amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s'attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. 

Mais du paradis souffle une tempête qui s'est prise dans ses ailes, si forte que l'ange ne peut plus les refermer. 

Cette tempête le pousse incessamment vers l'avenir auquel il tourne le dos, cependant que jusqu'au ciel devant lui s'accumulent les ruines. 

Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »


vendredi 6 août 2021

Fernando Pessoa : Je ne suis pas pressé

 

Fernando Pessoa, celui qui était "personne" (pessoa, en portugais), nous a laissé ce beau texte d'actualité: "Je ne suis pas pressé". Voir ici.

Fernando Pessoa
1888-1935


oOo


Je ne suis pas pressé.


Je ne suis pas pressé. Pressé pour quoi?

La Lune et le Soleil ne sont pas pressés : ils sont exacts.

Etre pressé, c'est croire que l'on passe devant ses jambes,

Ou bien qu'en s'élançant, on saute par-dessus son ombre.

Non; je ne suis pas pressé.

Si je tends le bras, j'arrive exactement là où mon bras arrive.

Pas même un centimètre de plus.

Je touche là où je touche, non là où je pense.

Je ne peux m'assoir que là où je suis.

Et cela fait rire comme toutes les vérités absolument vérifiables.

Mais ce qui fait rire pour de bon c'est que nous autres pensons toujours à autre chose.

Et sommes en vadrouille loin d'un corps.


oOo


(Poèmes désassemblés, dans Poèmes païens, Christian Bourgois ed.)



Ecoutez ici l'émission de France Culture "Une vie, une oeuvre" consacrée à "Pessoa, celui qui était personne *" par Hubert Juin et Jean-Claude Loiseau (2.4.87).

* : "persona", en latin, désigne le masque de l'acteur, référence aux "hétéronymes" de Pessoa, ses différents "masques".


vendredi 28 mai 2021

Une histoire mondiale des femmes photographes

 

Les spécialistes de la photographie Luce Lebart et Marie Robert publient chez Textuel un livre monumental, une somme de 500 pages :"Une histoire mondiale des femmes photographes", un livre manifeste qui redonne leur place aux femmes dans l'histoire de la Photographie.


Cette entreprise follement ambitieuse, formidable somme collective, illustrée par 450 images, présente les oeuvres de 300 femmes photographes du monde entier, de l'invention de la photographie jusqu'à l'aube du XXI° siècle.

Rares sont celles dont les noms sont parvenus jusqu'à nous, disparaissant du récit de la création au profit des "Grands Maîtres".

"Les femmes photographes sont au coeur d'un double mouvement : une reconnaissance réelle par leurs pairs masculins, puis leur invisibilisation rapide dans les mémoires et les histoires".

Frances Benjamin Johnston
Autoportrait dans l'atelier
1896

"A partir du début du XX° siècle, toutes les femmes recensées dans l'ouvrage ont une démarche engagée, elles portent un regard sur les minorités, les opprimés, ceux qui souffrent".

Créatrices originales et autonomes, elles n'ont jamais cessé de documenter, d'interroger et de transfigurer le monde, démontrant que l'appareil photo peut être un fantastique outil d'émancipation.

Isabel Muñoz
2005

Pour restituer la diversité des parcours de ces femmes photographes, Luce Lebart et Marie Robert ont invité 160 autrices de différents points du globe à nourrir cet ouvrage manifeste.

Voir ici l'interview des autrices de ce magnifique ouvrage.

Voici un ouvrage formidable, passionnant et indispensable!

samedi 15 mai 2021

Charles Juliet : "Le jour baisse", Journal Tome X

 

Charles Juliet est un écrivain français notamment connu pour son Journal, débuté en 1957, et qui comprend  dix volumes, et son oeuvre autobiographique, Lambeaux.

Voila une des voix les plus singulières de la littérature française, pleine de larmes et d'émerveillements, une voix construite sur les lambeaux d'une enfance compliquée.

Charles Juliet
né en 1934 dans l'Ain

Son oeuvre est impressionnante.

J'aborde cette oeuvre par le Tome X de son Journal intitulé "Le jour baisse" (2009-2012).

Ce Journal, d'une sombre beauté, est d'une grande diversité, plein de sagesse, d'expériences, d'ouverture au monde et aux autres.

Dans ce volume, Charles Juliet tient à s'exposer, à parler de ce qu'il a longtemps tu : son épouse, sa famille, ses rapports avec celle-ci.

Il relate ce que fut son année de préparation aux études de médecine : une angoisse indicible,  celle d'échouer.

Il relate son arrêt des études, son engagement dans l'armée, à l'école d'enfants de troupe, sa passion pour le rugby : une ardente faim de vivre, des tentations, un grand désordre dans la tête et le coeur ...



"Pourquoi écrire un journal ? Je pourrai répondre : parce que je ne sais rien faire d'autre. En réalité je sais pourtant que ce journal a sa source en ce qui me ronge depuis l'adolescence : la sensation douloureuse de la fuite du temps, du fait que rien ne demeure de ce que nous vivons.

D'où la nécessité de garder des traces, de rassembler dans des mots ce que je me refuse à voir disparaître.

A ce besoin est associé la recherche exigeante de la connaissance de soi, la connaissance du psychisme humain.

Recherche qui va de pair avec une lutte pour repérer mes entraves, accéder à une véritable liberté, à une pleine adhésion à la vie"

Charles Juliet a reçu le Grand Prix de l'Académie Française pour l'ensemble de son oeuvre.

Ecoutez ici l'émission de France Culture (Le Temps des Ecrivains, 15/8/2018) consacrée à Charles Juliet, par Christophe Ono-dit-Bio à l'occasion de la parution du Tome IX de son Journal.


samedi 27 février 2021

Une grande nouvelle : les librairies sont classées "commerces essentiels"!

 

Pour une nouvelle, c'est une nouvelle!

Dans le contexte de la pandémie du Covid-19, les librairies (et les disquaires) sont désormais classées "commerces essentiels" par un décret publié le 26 février 2021 au Journal Officiel de la République Française.


Les librairies pourront ainsi rester ouvertes en cas de confinement le week-end, entre 6h et 18h.


Lors du confinement de novembre, les librairies avaient pourtant été considérées comme "non essentielles"... une mesure unanimement dénoncée par les libraires, écrivains, éditeurs et lecteurs.

D'où vient ce revirement? Allez savoir!

Mystère, mais heureux mystère!


En tout cas une grande victoire pour le monde des livres et en particulier pour les libraires indépendants.

La Ministre de la Culture "s'est félicitée" de cette décision du Gouvernement.


Plus qu'un "commerçant", le libraire indépendant conseille la clientèle sur les ouvrages en vente dans sa librairie. 

C'est un passionné du livre, qui connait son sujet sur le bout des doigts, et organise régulièrement des animations, des rencontres avec les auteurs,...

Un beau métier, complet, exigeant, au service d'un public de connaisseurs : en un mot, "essentiel"!


mardi 9 février 2021

Camille de Toledo : Thésée, sa vie nouvelle

Le livre de Camille de Toledo : "Thésée, sa vie nouvelle" figurait dans la liste des 4 finalistes pour le Prix Goncourt 2020, finalement attribué à Hervé LE TELLIER pour "L'anomalie".

Camille de Toledo est le nom de plume d'Alexis Mital, né en 1976 et qui vit à Berlin: ici.


Il est un essayiste et écrivain français.

Il est notamment l'auteur de Le Hêtre et le Bouleau, essai sur la tristesse européenne (Seuil, 2009), Vies pøtentielles (Seuil, 2011), L'Inquiétude d'être au monde (Verdier, 2012) ou, plus récemment, Le Livre de la faim et de la soif (Gallimard, 2017).

Ses essais mêlent les écritures et les genres : récit auto-biographique, critiques, micro fictions, essais sur la littérature.

Il collabore régulièrement à la revue de philosophie, d'art et de littérature Pylône.

Il est le petit-fils d'Antoine Riboud, fondateur et Président du Groupe Danone. Pour son nom de plume, il a emprunté le prénom de son arrière grand-père maternel Camille Riboud (Président de la Société lyonnaise de Dépots, qui se suicida en 1939), et le nom de Toledo est emprunté à sa grand-mère paternelle.

Le suicide de son frère Jérôme, le 1° Mars 2005, à Paris, le marquera durablement, et c'est cet évènement qui sera au centre de son dernier livre "Thésée, sa vie nouvelle" (Verdier, 2020).


Dans ce livre magnifique et puissant, Camille de Toledo entreprend une longue descente en lui (en nous) c'est-à-dire dans l'histoire des siens du côté maternel : quatre générations d'une histoire tue, parcourue par la mort et la douleur extrême, et ramassée en trois disparitions successives à l'aube du XXI° siècle.

Voir ici la belle recension de cet ouvrage par Cécile Dutheil de la Rochère.

Ce livre fort et puissant, sous forme de récit incantatoire, est une magnifique traversée de l'effroi et des chagrins, au sein du labyrinthe, une quête de sens dont même les points aveugles bouleversent.


Un très beau texte qui a les accents d'un mythe, d'un homme qui n'a de cesse de se confronter au Minotaure pour s'émanciper d'un passé trop lourd, et du poids des secrets de famille qui marquent terriblement plusieurs générations.

"Je fouille le passé pour retrouver des preuves de mon existence, et aussi pour guérir. Mais qui tue celui qui décide de mourir ? Et celui qui survit, c'est pour raconter quelle histoire ?"

"De quel ricochet sommes nous les ondes?"

Un livre bouleversant qui ne peut nous laisser indifférent.

Ecouter ici l'émission de France Culture du 10/11/2020.