samedi 7 décembre 2019

En Californie, sur les terres de John Steinbeck



En avril 2018 nous sommes partis pour un beau voyage d'un mois en Californie.

Nous devions nous rendre, sur la côte ouest, par la magnifique route #1 qui longe le Pacifique, de San Luis Obispo à Big Sur, où nous avions réservé une "cabin" (petit cabanon en bois spartiate) dans la forêt près de l'Océan.

Malheureusement des glissements de terrain importants ont rendu cette route impraticable, et nous avons du prendre la route #101, à l'intérieur des terres.

La route #1 au bord du Pacifique
et la #101 à l'intérieur des terres
Nous n'avons pas eu à le regretter, car ce faisant nous avons eu le plaisir de passer à Salinas, sur les terres de John Steinbeck.

En effet, John Steinbeck est né le 27 février 1902 à Salinas, Californie.


John Steinbeck
1902-1968

Salinas est la capitale américaine de l'agri-business intensif de la laitue et produit 80% de la laitue consommée aux USA.

Immenses plantations de laitue à Salinas

A priori, peu de liens entre la fameuse laitue de Salinas et le grand écrivain John Steinbeck, quoique ...

Les deux gloires locales de Salinas réunies!

Steinbeck est bien la gloire locale de Salinas (après la laitue, cela va sans dire).


John Steinbeck par Russ Cook

Un Musée lui est consacré, que nous avons pris grand plaisir à visiter : le "National Steinbeck Center".



Fresque évocatrice à l'entrée du Musée.

John Steinbeck est un géant des lettres américaines alliant humour sympathique et perception sociale aigüe.

Plusieurs de ses oeuvres sont des classiques de la littérature occidentale: Cannery Row (1945), Les Raisins de la Colère (The Grapes of Wrath, 1939), East of Eden (A l'Est d'Eden, 1952), Des Souris et des Hommes (Of Mice and Men, 1937), In Dubious Battle (En un Combat Douteux, 1936),..etc,...







Ses oeuvres se déroulent au coeur de la Californie, en particulier dans la vallée de Salinas et les chaînes côtières californiennes.



"En un combat douteux".


"Travels with Charley : In search of America": Steinbeck raconte son road trip à travers les USA en 1960, en compagnie de son caniche Charley.

Travels with Charley :
carte de son road trip à travers les USA

Steinbeck a  exploré les thèmes du destin, et de l'injustice, en particulier chez les travailleurs et fermiers opprimés.

Nous avons retrouvé Steinbeck un peu plus tard à Monterey, où se déroule Cannery Row.







John Steinbeck s'est vu décerner le Prix Nobel en 1962.

Extrait de son discours :

"Le prestige du Prix Nobel et de ce lieu où je me tiens est tel que je suis contraint non pas de couiner comme une souris contrite et éperdue de reconnaissance, mais de rugir comme un lion dans mon orgueil de pratiquer pareil métier et d'appartenir à la lignée des grands hommes qui l'ont, eux aussi, pratiqué depuis la nuit des temps."

Et aussi:

"La littérature ne relève pas de la critique de clercs hâves et émasculés tout juste bons à chanter leurs litanies dans des églises vides ; il ne s'agit pas non plus d'un jeu destiné aux élus cloîtrés dans leur forteresse, pseudo-mendiants du désespoir basses calories.

La littérature est aussi ancienne que la parole.
Elle est née d'un besoin vital des hommes et elle n'a pas changé sinon sur un point : elle est devenue plus nécessaire encore."

Ouah!

Voir ici un excellent documentaire ARTE à propos des Raisins de la colère.

Ce que décrit Steinbeck dans les Raisins de la Colère était encore d'actualité lors de la crise des subprimes très récemment, et risque fort de se reproduire à nouveau...

Voir ici la bande annonce du film de John Ford, avec Henri Fonda (1940).





Voir ici la bande annonce officielle du film d'Elia Kazan, avec James Dean (1955).



Voir ici le discours de réception du prix Nobel le 10 déc 1962 (en anglais)


John Steinbeck

vendredi 12 juillet 2019

Benjamin Fondane : au seuil de l'Inde


Benjamin Fondane (alias B. Fundolanu ou B. Wechsler) est né le 14 novembre 1898 à Iasi, en Roumanie, et est mort le 3 octobre 1944 au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau.

Fondane vers 1915

Fondane est un philosophe, poète, dramaturge, essayiste, critique littéraire, réalisateur de cinéma et traducteur juif athée, roumain, naturalisé français en 1938, et d'expression française.

J'ai déjà eu l'occasion de rédiger une note (ici), à propos de son ouvrage "Le mal des fantômes".

Il publie de la poésie dès son plus jeune âge.

A Paris, dès 1923 il adhère au Mouvement Surréaliste, et en 1924, il rencontre le philosophe russe Léon Chestov, qui sera la rencontre la plus déterminante de sa vie.

Léon Chestov
en 1927

En 1944 il est arrêté par la police de Vichy; ses amis obtiennent sa libération, mais Benjamin Fondane décide de ne pas abandonner sa soeur Line.

Il est alors envoyé au camp de Drancy et déporté à Auschwitz.

Les belles Editions Fata Morgana ont publié en 1994 dans la collection Hermès "Au seuil de l'Inde" de Benjamin Fondane, avec une préface de Michel Carassou et des dessins de Francis Herth (40 pages).


En 1941, les Cahiers du Sud consacrent à la pensée indienne un numéro spécial intitulé "Message actuel de l'Inde".

Invité à participer, Fondane donne "Au seuil de l'Inde", qui témoigne de ses préoccupation : l'examen comparatif de la pensée indienne (hindouiste et bouddhiste) et de la philosophie/métaphysique occidentale.

"Comme Chestov, Fondane s'attache à des auteurs tels que Pascal, Nietzsche, Dostoïevski,  ou Kierkegaard, qui, à un moment de leur vie, ont connu l'expérience du gouffre, du souterrain ou du mur, qui ont senti le sol se dérober sous leurs pieds, qui ont osé croire, contre la nécessité, contre l'ordre du monde" Michel Carassou.

"Philosophies de décadence que celles de l'Europe! Philosophies de décadence que celles de l'Inde! Symptôme de perte de vitalité, peut-être, que la philosophie elle-même, conçue comme Savoir, comme Devoir.

Attitude de défense de gens qui ont peur du vivre, qui craignent d'accepter la vérité de la vie, qui s'évanouissent quand la piqûre d'une aiguille leur arrache une gouttelette de sang - et qui se sont façonné un faux monde, une fausse vie, où il n'y ait ni aiguille, ni sang, ni un Je qui puisse être touché.

Refus de la vie, peur de la vie, c'est ça qu'ils appellent "philosophie"!" Benjamin Fondane.

Francis Herth



mercredi 30 janvier 2019

Lenz de Georg Büchner : un voyage intérieur de la poésie vers la folie



Les Solitaires intempestifs

Lenz de Georg Büchner, publié en 1839, deux ans après la mort de son auteur, à 24 ans, reconstitue sous forme de fiction trois semaines de l'existence du poète Jakob Michaël Reinhold Lenz, figure importante du mouvement Sturm und Drang (Mouvement politique et littéraire allemand de la fin du XVIII°, radicalisation des Lumières et précurseur du Romantisme)

Georg Büchner
1813-1837


Jakob Lenz
1751-1792
Cette courte période de la vie de Lenz se situe au cours de l'hiver 1778.

Nous assistons dans ce texte, au basculement du poète dans la folie entre le 20 janvier 1778, date d'arrivée de Lenz, après une traversée de la forêt vosgienne, dans le village de Waldersbach, à la rencontre du Pasteur Oberlin, et le 8 février suivant, date du renvoi de Lenz sous bonne escorte à Strasbourg.

Voir ici la biographie du Pasteur Oberlin, figure bien connue en Alsace.

Le Pasteur Jean-Frederic Oberlin
1740-1826
Sa traversée de la montagne vosgienne, au nord du Parc des Ballons des Vosges,  le confronte à une nature qui rencontre en lui des échos inquiétants...



Büchner décrit de façon assez extraordinaire le paysage mental de Lenz au cours de cette crise où il espère trouver un secours auprès du Pasteur Oberlin, mais la religion ne lui est d'aucun secours pour se sauver des forces qui font vaciller son identité : rien ne le protège ni de la perte ni de la déchirure du monde dont il se plaint...

Büchner s'est inspiré des notes laissées par le Pasteur sur cet épisode, et grâce à son style simple, de poésie brute et condensée, il raconte les vacillements de l'âme d'un jeune homme que son hypersensibilité au monde qui l'entoure mène à sa perte.

Voir ici une analyse exhaustive de "Lenz" par Lucile Charliac dans "Savoir et Clinique" 2012/1 (N°15)

Lenz est un chef-d'oeuvre de la littérature, maintes fois traduit, commenté, mis en musique.
C'est une invitation à un voyage intérieur où se mêlent poésie et folie.

Ce texte a été produit et joué au Théâtre du Peuple, à Bussang, dans les Vosges,  par Simon Delétang, et également à la Comédie de l'Est, à Colmar (19 et 20 novembre 2018) : saisissant et magnifique!

Le Théâtre du Peuple à Bussang

"...Mais la nuit passée lui avait laissé une impression terrible. Le monde s'était révélé à lui et il n'était que mouvement et chaos vers un abîme où l'attirait une violence impitoyable.

Il fouillait à présent en lui-même. Il mangeait peu ; moitiés de nuits passées en prière et rêves fiévreux.

Une poussée violente, et puis épuisé, abattu ; il gisait dans les larmes brûlantes et puis soudain il sentait une force, et il se relevait froid et indifférent ; il avait l'impression que ses larmes s'étaient changées en glace, il en riait..."