vendredi 20 mars 2020

"Le Terrier" de Franz Kafka : le livre du confinement


En ces temps de confinement, il est intéressant de découvrir ou de relire la nouvelle (inachevée) de Franz Kafka intitulée "Le Terrier".

Cette nouvelle a été publiée en français par les Editions Gallimard/NRF en 1948 sous le titre "La Colonie Pénitentiaire et Autres récits". La traduction est d'Alexandre Vialatte.


Les nouvelles y figurant sont : "La Colonie Pénitentiaire", "Un Champion de Jeûne", "Le Terrier" et "La Taupe Géante".

Le Terrier est l'une des dernières oeuvres de Kafka : en 1923, il vit à Berlin et souffre de la tuberculose.

C'est lors d'une période de répit, en décembre, qu'il écrit ce texte.
Il vit alors en compagnie de Dora Diamant.

Mais la toux et la fièvre reprennent et l'empêchent de terminer ce récit.

Il mourra quelques mois plus tard, le 3 juin 1924.

Franz Kafka
1883-1924
Le narrateur (mi-animal, mi-humain) creuse, méticuleusement, pour se protéger, une forteresse souterraine, labyrinthique ...

Il espère que ce terrier lui permettra de vivre en toute quiétude, séparé du monde extérieur.

Le constructeur-narrateur se réjouit de sa vie solitaire, qu'il passe à effectuer de petites réparations, à rêver d'amélioration de son terrier, et à accumuler des provisions.

Pourtant, il vit dans la terreur permanente d'être attaqué par un ennemi qui envahirait son abri...

"J’ai organisé le terrier et il semble que ce soit une réussite. De l’extérieur on ne voit à vrai dire qu’un grand trou, mais en réalité celui-ci ne conduit nulle part, après seulement quelques pas on se cogne contre une paroi de roche naturelle, je ne veux pas me vanter d’avoir conçu intentionnellement cette ruse, c’était plutôt le vestige d’une de ces nombreuses et vaines tentatives de construction, mais finalement il me parut avantageux de ne pas boucher ce trou. 

C’est vrai qu’il y a des ruses qui sont si subtiles qu’elles se tuent elles-mêmes, je le sais mieux que personne et il est certainement bien téméraire d’attirer l’attention sur ce trou et ainsi de signaler la possibilité qu’il y ait ici quelque chose qui vaille la peine qu’on fasse des recherches. 

Mais il me connaît mal, celui qui croit que je suis lâche et que je ne creuse mon terrier que par lâcheté. C’est à quelque mille pas de ce trou que se trouve la véritable entrée du terrier, cachée sous une couche de mousse que l’on peut soulever, elle est aussi sécurisée que peut l’être quelque chose en ce monde, certes, quelqu’un peut marcher sur la mousse ou bien la percer, alors mon terrier est ouvert et qui a envie – à condition, bien entendu, de posséder certaines facultés qui ne sont guère répandues – peut y pénétrer et tout détruire à jamais." ...


Le narrateur entretient une relation ambivalente avec son terrier, qui semble être à la fois un abri et un piège.

Son ami Max Brod, qui a publié ce texte de façon posthume en 1931, rédige une postface :

Max Brod en 1924

"... La solitude a pour dernière conséquence un système de protections que Kafka expose ici avec la puissance inquiétante de l'expérience personnelle et un réalisme total au sein du fantastique ; c'est-à-dire qu'il y emploie son style le plus strictement singulier.

La peur de vivre d'un sans-défense, la nostalgie d'un repos parfait...

Mais l'auteur soulève légèrement le voile du symbole et indique que "Le Terrier" signifie plus pour lui que la sécurité, qu'il symbolise aussi la Patrie, une assiette morale, une base d'existence conquise au prix d'un honnête labeur,...tout ce que "l'arpenteur" du Château cherchait précisément en vain."

Franz Kafka

Mais on peut aussi établir un rapport entre le Terrier, considéré comme le corps même de Kafka, et la maladie pulmonaire mortelle dont il souffre : il parlait d'ailleurs de sa toux comme d'une "bête".

Vers la fin du texte, il est question d'un "chuintement" qui menace le narrateur (la respiration d'un malade atteint de tuberculose).

Le Terrier, c'est la maison du corps, infiltrée de l'extérieur.

Les ramifications du Terrier pourraient être interprétées comme les parties pulmonaires, et l'entrée - crainte par le narrateur -comme la bouche, par laquelle les agents pathogènes pénètrent.

Ecouter ici un extrait du Terrier, lu par Denis Lavant.



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