Fernando Pessoa (1888-1935) , écrivain et poète portugais prolifique et protéiforme a écrit sous différents hétéronymes, entre autres : Alberto Caeiro, qui incarne la nature et la sagesse païenne; Ricardo Reis, l'épicurisme à la manière d'Horace; Alvaro de Campos, le « modernisme » et la désillusion; Bernardo Soares, modeste employé de bureau à la vie insignifiante s'il n'était l'auteur du Livre de l'intranquillité,...
Le Livre de l'intranquillité (Paru chez Christian Bourgois), justement est un gros ouvrage de plus de 500 pages que je trouve absolument magnifique et que je déguste par petites gorgées. Cette note datée du 17 janvier 1932 me semble parfaitement d'actualité! J'y vois le pourquoi "essentiel" de notre crise actuelle :
"Le monde appartient à ceux qui ne ressentent rien. La condition essentielle pour être un homme pratique, c'est l'absence de sensibilité. La qualité principale, dans la conduite de la vie, est celle qui mène à l'action, c'est-à-dire la volonté. Or, il est deux choses qui entravent l'action : la sensibilité et la pensée analytique, qui n'est elle-même rien d'autre, en fin de compte, qu'une pensée douée de sensibilité.Toute action, par nature, est la projection de notre personnalité sur le monde extérieur, et comme celui-ci est constitué, pour sa plus grande partie, d'êtres humains, il s'ensuit que cette projection de notre personnalité revient, pour l'essentiel, à nous mettre en travers du chemin de quelqu'un d'autre, à gêner, blesser, et écraser les autres, par notre façon d'agir.
Pour agir, il faut donc que nous ne puissions pas nous représenter aisément la personnalité des autres, leurs joies ou leurs souffrances. Si l'on sympathise, on s'arrête net. L'homme d'action considère le monde extérieur comme formé exclusivement de matière inerte - soit inerte en elle-même, comme une pierre sur laquelle il passe, ou qu'il écarte de son chemin ; soit inerte comme un être humain qui, n'ayant pas su lui résister, peut être un homme tout aussi bien qu'une pierre, car il le traite de la même façon : il l'écarte du pied, ou il lui passe dessus."
Quant à son propre justement sur lui même :
" Je ne suis rien.
Ne serai jamais rien.
Ne puis vouloir qu'être rien.
A part ça, je possède en moi tous les songes du monde. " (Alvaro de Campos, exergue à "Le bureau de tabac", 15 janvier 1928)
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