vendredi 20 mars 2015

Jules Supervielle : L'enfant de la haute mer



Jules Supervielle, poète et écrivain français, est né à Montevideo en 1884 et est mort à Paris en 1960.

Il perd accidentellement ses deux parents à l'âge de 8 mois.
Il partagera sa vie entre la France et l'Amérique du Sud : la pampa, les grands espaces et l'océan lui donnent très vite une impression de vide et d'isolement. L'Uruguay sera sa seconde patrie.

Jules Supervielle

A Paris, où il s'est toujours tenu à l'écart des surréalistes,  il devient ami avec Michaux, Paulhan,  Rainer Maria Rilke,...
Il a anticipé les mouvements des années 1945-1950 dominés par les puissantes personnalités de René Char, St John Perse, Michaux ou Francis Ponge.

Il a tenté une approche plus modeste des mystères de l'univers, sans remise en cause radicale du langage.

En 1931 parait son premier recueil de nouvelles fantastiques, aux Editions Gallimard, "L'enfant de la haute mer", qui rassemble cinq textes publiés entre 1924 et 1930 et trois inédits.


On trouve ce recueil en poche :


Ces nouvelles évoquent des personnages en marge, délaissés, en décalage, perdus entre la vie et la mort, la vérité et la fiction pure.

La nouvelle qui donne son titre à l'ouvrage, "L'enfant de la haute mer", parle d'une petite fille prisonnière d'une rue flottante, suscitée par la force du souvenir de son père, qui songe à sa fille morte alors qu'il effectue un voyage en mer.


Début de la nouvelle :


« Comment s'était formée cette rue flottante ? Quels marins, avec l'aide de quels architectes, l'avaient construite dans le haut Atlantique à la surface de la mer, au-dessus d'un gouffre de six mille mètres ? 

Cette longue rue aux maisons de briques rouges si décolorées qu'elles prenaient une teinte gris-de-France, ces toits d'ardoise, de tuile, ces humbles boutiques immuables ? Et ce clocher très ajouré ? Et ceci qui ne contenait que de l'eau marine et voulait sans doute être un jardin clos de murs, garnis de tessons de bouteilles, par-dessus lesquels sautait parfois un poisson ? 

Comment cela tenait-il debout sans même être ballotté par les vagues ? Et cette enfant de douze ans si seule qui passait en sabots d'un pas sûr dans la rue liquide, comme si elle marchait sur la terre ferme ? Comme se faisait-il... ? Nous dirons les choses au fur et à mesure que nous les verrons et que nous saurons. Et ce qui doit rester obscur le sera malgré nous. »


"Elle n'était pas très jolie, à cause de ses dents un peu écartées, de son nez un peu trop retroussé, mais elle avait la peau très blanche avec quelques taches de douceur, je veux dire de rousseur.
Et sa petite personne commandée par des yeux gris, modestes mais très lumineux, vous faisait passer dans le corps, jusqu'à l'âme, une grande surprise qui arrivait du fond des temps."



"Marins qui rêvez en haute mer, les coudes appuyés sur la lisse, craignez de penser longtemps dans le noir de la nuit à un visage aimé.
Vous risqueriez de donner naissance, dans des lieux essentiellement désertiques, à un être doué de toute la sensibilité humaine et qui ne peut pas vivre ni mourir, ni aimer et souffre pourtant comme s'il vivait, aimait, et se trouvait toujours sur le point de mourir, un être infiniment déshérité dans les solitudes aquatiques, comme cet enfant de l'Océan, née un jour du cerveau de Charles Liévens, de Steenvoorde, matelot de pont du quatre-mats Le Hardi, qui avait perdu sa fille âgée de douze ans, pendant un de ses voyages, et une nuit, par 55 degrés de latitude nord et 35 de longitude ouest, pensa longuement à elle, avec une force terrible, pour le grand malheur de cette enfant."


Voir ici sur Supervielle.


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