mercredi 15 octobre 2014

Dino Buzzati : le temps passait, toujours plus rapide...



Dino Buzzati (1906, Vénétie-1972, Milan) était journaliste, peintre et écrivain. Son oeuvre la plus célèbre est le magnifique roman intitulé "Le Désert des Tartares", traduit en français en 1949. Son talent provient du fait qu'à partir des thèmes et des détails de la vie quotidienne, il sait en développer les aspects insolites, mystérieux ou inquiétants.



Il a été influencé par Kafka, Sartre, Camus, Jünger ("Sur les falaises de marbre").  Le Désert des Tartares évoque de façon  poignante la fuite vaine du temps, l'attente et l'échec, dans le cadre d'une garnison postée dans un vieux fort isolé à la frontière où le lieutenant Drogo attend la gloire dont le privera la vieillesse et la maladie.
La fuite du temps, la voila, justement, magistralement décrite (Ed. Robert Laffont, Pocket, p 222), telle qu'elle concerne, non seulement le lieutenant Drogo, mais chacun de nous :
"Cependant, le temps passait, toujours plus rapide; son rythme silencieux scande la vie, on ne peut s'arrêter, même un seul instant, même pas pour jeter un coup d'oeil en arrière. 'Arrête! Arrête!' voudrai-on crier, mais on se rend compte que c'est inutile. Tout s'enfuit, les hommes, les saisons, les nuages ; et il est inutile de s'agripper aux pierres, de se cramponner au sommet d'un quelconque rocher, les doigts fatigués se desserrent, les bras retombent inertes, on est toujours entraîné dans ce fleuve qui semble lent, mais qui ne s'arrête jamais.
De jour en jour, Drogo sentait augmenter cette mystérieuse désagrégation, et en vain cherchait-il à s'y opposer. Dans la vie uniforme du fort, les points de repère lui faisaient défaut et les heures lui échappaient avant qu'il eût réussi à les compter.
Il y avait aussi cet espoir secret pour lequel Drogo gaspillait la meilleure part de sa vie. Pour alimenter cet espoir, il sacrifiait à la légère des mois et des mois, et il n'y en avait jamais assez. L'hiver, l'interminable hiver du fort, ne fut qu'une sorte d'acompte. L'hiver fini, Drogo attendait encore.
[...] Peu à peu, sa confiance diminuait. Il est difficile de croire à quelque chose quand on est seul et que l'on ne peut en parler avec personne. Juste à cette époque, Drogo s'aperçut à quel point les hommes restent toujours séparés l'un de l'autre, malgré l'affection qu'ils peuvent se porter ; il s'aperçut que, si quelqu'un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l'en décharger si légèrement que ce soit ; il s'aperçut que si quelqu'un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c'est cela qui fait la solitude de la vie.


Sa confiance commençait à se lasser et son impatience croissait, et, tout le temps, il entendait l'horloge qui sonnait des coups de plus en plus rapprochés."

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