Selon Lou Andreas Salomé, la rencontre de Rainer Maria Rilke avec Rodin, dont il sera le secrétaire en 1905-1906, ne serait pas étrangère à la conception de cet exercice spirituel que constitue Le Livre de la Pauvreté et de la Mort.
Rainer Maria Rilke 1875-1926 |
Rilke et Rodin à Meudon |
On trouve dans ce long poème (en fait une trentaine de courts poèmes) une force de révolte qui paraîtra moins dans ses recueils de la maturité.
Rilke y oppose la vie moderne, les villes monstrueuses, le culte de l'argent à une vie spirituelle avide de solitude, de dialogue avec Dieu et de préparation à la mort.
Arthur Adamov prit la décision de traduire (et d'adapter) la moitié de ce poème magnifique, et le publia en 1940 avec une singulière et puissante préface :
Adamov :
"...Le grand mal de notre civilisation est moins un crime contre la vie qu'un crime contre la mort. De tous temps, certes, l'apparition de la mort fut terrible : ne jette-t-elle pas l'homme face contre terre?
Mais de cette très sainte crainte, de cette terreur des origines qui est génération, ceux d'aujourd'hui ont tout oublié, et il ne subsiste plus qu'un malaise sans nom..."
...
"Aujourd'hui à chaque homme reste une tâche : arracher toutes les peaux mortes, les dépouilles sociales, se dénuder jusqu'à se trouver lui-même."
Arthur Adamov 1908-1970 |
Cette version a été publiée par Actes Sud en 1982.
C'est un petit livre de 30 pages que l'on range dans la poche d'une veste pour le lire et le relire dans des moments d'attente et de solitude : une merveille!
La rencontre Rilke - Adamov révèle leur complicité dans l'incomplétude, et la similitude de leurs interrogations.
Nul doute que notre sensibilité actuelle ne rejoigne celle du poème de Rilke (1903) et de sa traduction par Adamov (1940)
Rilke :
"Car les grandes villes, Seigneur, sont maudites ;
la panique des incendies couve dans leur sein
et elles n'ont pas de pardon à attendre
et leur temps leur est compté.
Là des hommes insatisfaits peinent à vivre
et meurent sans savoir pourquoi ils ont souffert;
et aucun d'eux n'a vu la pauvre grimace
qui s'est substituée au fond de nuits sans nom
au sourire heureux d'un peuple plein de foi.
Ils vont au hasard, avilis par l'effort
de servir sans ardeur des choses dénuées de sens,
et leurs vêtements s'usent peu à peu
et leurs belles mains vieillissent trop tôt."
"La mort est là. Non celle dont la voix
les a miraculeusement touchés dans leurs enfances
mais la petite mort comme on la comprend là;
tandis que leur propre fin pend en eux comme un fruit
aigre, vert et qui ne mûrit pas."
...
"O mon Dieu, donne a chacun sa propre mort,
donne à chacun la mort née de sa propre vie
où il connut l'amour et la misère."
...
"Fais Seigneur qu'un homme soit saint et grand
et donne lui une nuit profonde, infinie,
où il ira plus loin qu'on ait jamais été;
donne lui une nuit où tout s'épanouisse,
et que cette nuit soit odorante comme des glycines,
et légère comme le souffle des vents,
et joyeuse comme Josaphat."
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